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SUITE DE LA DÉFENSE


semblables, de peur que, nous opposant zèle à zèle, ils ne soumettent la vérité et la vertu, c’est-à-dire les biens les plus précieux de l’homme, à la plus injuste des lois, la loi du plus fort.

On est zélé pour la religion, qui se soutient par elle-même, qui, émanée du plus puissant des êtres, n’a pas besoin du secours du plus foible pour se conserver : on ne l’est point pour l’État, qui ne peut se soutenir sans une force étrangère.

Le premier zèle est de toutes les religions, et ne devrait être d’aucune ; le second n’est d’aucun État, et devroit être de tous. Le premier fait de mauvais citoyens : j’en atteste l’expérience ; le second fait des heureux : j’en atteste l’Angleterre, où l’on en voit quelques traces.

Que le zèle s’exerce sur l’observation des lois, sur les devoirs civils ; mais qu’il finisse là où les devoirs moraux commencent. Qu’il respecte ces limites ; qu’il ne les franchisse que par des prières et des vœux. Le zèle religieux devient criminel dès qu’il cesse d’être oisif ; il ne doit agir en faveur de la vérité que par la persuasion, en faveur de la vertu que par l’exemple.

Ce qui me rend le zèle suspect, c’est que le zèle et l’indifférence dépendent du tempérament : ils sont créés par le plus ou le moins d’impression que les preuves d’une vérité ou d’une opinion font sur l’âme, impression relative au degré de chaleur du sang, à la disposition des organes, à la qualité de l’imagination. On croit suivre les mouvements d’un zèle éclairé ; l’on ne suit que l’impétuosité d’une passion aveugle. On se félicite d’une philosophique indifférence ; le caractère a réellement toute la gloire de ce qu’on attribue à la philosophie. Les jugements de la raison tiennent toujours du naturel ; ce sont