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SUITE DE LA DÉFENSE


leur est toujours si fâcheux de le faire, que la loi est tyrannique qui donne ce droit aux hommes sans le donner aux femmes. »

Le reproche est aussi peu galant que la réflexion est sensée. Pourquoi voulez-vous priver un sexe des prérogatives que vous accordez à l’autre ? Doué des mêmes avantages, pourquoi ne jouira-t-il pas des mêmes droits ? Soumis par le tempérament à la même nécessité, pourquoi lui sera-t-il défendu de recourir au même remède ? N’y a-t-il pas une sorte de tyrannie à le refuser à l’un par la même loi qui le donne à l’autre ? Des motifs égaux n’exigent-ils pas une égale permission ?

La nature a, par une prudente compensation, établi l’égalité entre les deux sexes. Est-ce à la politique à détruire l’ouvrage de la nature ? Faite pour le conserver, l’entretenir, le perfectionner, doit-elle l’anéantir ? Et n’est-ce pas l’anéantir, que de laisser à l’homme et d’ôter à la femme une liberté dont il lui est aussi fâcheux de se servir qu’il lui est nécessaire de l’avoir ?

Le mariage est une société. Même instinct, mêmes vœux, mêmes serments, mêmes devoirs : pourquoi pas mêmes droits ?

Figurez-vous une femme qui, sans cesse livrée à ses penchants, ne peut les satisfaire, dont la passion est toujours irritée par la présence de l’objet, et d’un objet présent en vain, qui désire toujours et ne jouit jamais, qui se voit forcée de renoncer même à l’espérance dans un état où l’espérance l’avoit engagée, qui cherche sans cesse l’être et ne trouve jamais que le néant, qui, toujours également éloignée et voisine du plaisir, réalise la fable de ce fameux criminel, qui est dans un fleuve, a soif, et ne peut boire. La loi n'est-