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LIVRE XXXI, CHAP. II.


plus corrompu que l’autre ; et cette corruption étoit d’autant plus dangereuse qu’elle étoit plus ancienne, et tenoit plus, en quelque sorte, à l’abus des mœurs qu’à l’abus des lois.

L’histoire de Grégoire de Tours et les autres monuments nous font voir, d’un côté, une nation féroce et barbare ; et, de l’autre, des rois qui ne l’étoient pas moins. Ces princes étoient meurtriers, injustes et cruels, parce que toute la nation l’étoit. Si le christianisme parut quelquefois les adoucir, ce ne fut que par les terreurs que le christianisme donne aux coupables. Les églises se défendirent contre eux par les miracles et les prodiges de leurs saints. Les rois n'étoient point sacrilèges, parce qu’ils redoutoient les peines des sacrilèges ; mais d’ailleurs ils commirent, ou par colère, ou de sang-froid, toutes sortes de crimes et d’injustices, parce que ces crimes et ces injustices ne leur montroient pas la main de la divinité si présente. Les Francs, comme j’ai dit, souffroient des rois meurtriers, parce qu’ils étoient meurtriers eux-mêmes ; ils n’étoient point frappés des injustices et des rapines de leurs rois, parce qu’ils étoient ravisseurs et injustes comme eux. Il y avoit bien des lois établies ; mais les rois les rendoient inutiles par de certaines lettres appelées Préceptions [1], qui renversoient ces mêmes lois : c’étoit à peu près comme les rescrits des empereurs romains, soit que les rois eussent pris d’eux cet usage, soit qu’ils l’eussent tiré du fond même de leur naturel. On voit dans Grégoire de Tours qu’ils faisoient des meurtres de sang-froid, et faisoient mourir des accusés qui n’avoient pas seulement

  1. C'étoient des ordres que le roi envoyoit aux juges, pour faire ou souffrir de certaines choses contre la loi. (M.)