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DE L’ESPRIT DES LOIS.


parliez comme moi. » Va-t-on prendre l’essor ? ils vous arrêtent par la manche. A-t-on de la force et de la vie ? on vous l’ôte à coups d’épingle. Vous élevez-vous un peu ? voilà des gens qui prennent leur pied, ou leur toise, lèvent la tête, et vous crient de descendre pour vous mesurer. Courez-vous dans votre carrière ? ils voudront que vous regardiez toutes les pierres que les fourmis ont mises sur votre chemin. Il n’y a ni science ni littérature qui puisse résister à ce pédantisme. Notre siècle a formé des Académies ; on voudra nous faire rentrer dans les écoles des siècles ténébreux. Descartes est bien propre à rassurer ceux qui, avec un génie infiniment moindre que le sien, ont d’aussi bonnes intentions que lui : ce grand homme fut sans cesse accusé d’athéisme ; et l’on n’emploie pas aujourd’hui contre les athées de plus forts arguments que les siens.

Du reste, nous ne devons regarder les critiques comme personnelles, que dans les cas où ceux qui les font ont voulu les rendre telles. Il est très-permis de critiquer les ouvrages qui ont été donnés au public ; parce qu’il seroit ridicule que ceux qui ont voulu éclairer les autres, ne voulussent pas être éclairés eux-mêmes. Ceux qui noua avertissent sont les compagnons de nos travaux. Si le critique et l’auteur cherchent la vérité, ils ont le même intérêt ; car la vérité est le bien de tous les hommes : ils seront des confédérés, et non pas des ennemis.

C’est avec grand plaisir que je quitte la plume : on auroit continué à garder le silence, si de ce qu’on le gardoit, plusieurs personnes n’avoient conclu qu’on y étoit réduit.

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