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DÉFENSE

Et, comme les vertus purement humaines sont en nous l’effet de ce que l’on appelle un bon naturel ; s’il étoit impossible d’y découvrir aucun vestige de ce bon naturel, le public pourroit en conclure que ces écrits ne seroient pas même l’effet des vertus humaines.

Aux yeux des hommes, les actions sont toujours plus sincères que les motifs ; et il leur est plus facile de croire que l’action de dire des injures atroces est un mal, que de se persuader que le motif qui les a fait dire est un bien.

Quand un homme tient à un état qui fait respecter la religion et que la religion fait respecter, et qu’il attaque, devant les gens du monde, un homme qui vit dans le monde, il est essentiel qu’il maintienne, par sa manière d’agir, la supériorité de son caractère. Le monde est très-corrompu : mais il y a de certaines passions qui s’y trouvent très-contraintes ; il y en a de favorites, qui défendent aux autres de paroître. Considérez les gens du monde entre eux ; il n’y a rien de si timide : c’est l’orgueil qui n’ose pas dire ses secrets, et qui, dans les égards qu’il a pour les autres, se quitte pour se reprendre. Le christianisme nous donne l’habitude de soumettre cet orgueil ; le monde nous donne l’habitude de le cacher. Avec le peu de vertu que nous avons, que deviendrions-nous, si toute notre âme se mettait en liberté, et si nous n’étions pas attentifs aux moindres paroles, aux moindres signes, aux moindres gestes ? Or, quand des hommes d’un caractère respecté manifestent des emportements que les gens du monde n’oseroient mettre au jour, ceux-ci commencent à se croire meilleurs qu’ils ne sont en effet : ce qui est un très-grand mal.