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DE L’ESPRIT DES LOIS.


hommes, est plus conforme à la nature dans de certains pays que dans d’autres [1]. » Le critique a saisi le mot « est plus conforme à la nature », pour faire dire à l’auteur qu’il approuvoit la polygamie. Mais si je disois que j’aime mieux la fièvre que le scorbut, cela signifierait-il que j’aime la fièvre, ou seulement que le scorbut m’est plus désagréable que la fièvre ?

Voici, mot pour mot, une objection bien extraordinaire.

« La polygamie d’une femme qui a plusieurs maris est un désordre monstrueux qui n’a été permis en aucun cas, et que l’auteur ne distingue en aucune sorte de la polygamie d’un homme qui a plusieurs femmes [2]. Ce langage, dans un sectateur de la religion naturelle, n’a pas besoin de commentaire. »

Je supplie de faire attention à la liaison des idées du critique. Selon lui, il suit que, de ce que l’auteur est un sectateur de la religion naturelle, il n’a point parlé de ce dont il n’avoit que faire de parler : ou bien il suit, selon lui, que l’auteur n’a point parlé de ce dont il n’avoit que faire de parler, parce qu’il est sectateur de la religion naturelle. Ces deux raisonnements sont de même espèce, et les conséquences se trouvent également dans les prémisses. La manière ordinaire est de critiquer sur ce que l’on écrit ; ici le critique s’évapore sur ce que l'on n’écrit pas.

Je dis tout ceci en supposant avec le critique que l’auteur n’eût point distingué la polygamie d’une femme qui a plusieurs maris, de celle où un mari auroit plusieurs

  1. Ch. IV. Livre XVI.
  2. Page 161 de la feuille du 9 octobre 1749. (M.) Sup., p. 126.