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DE L’ESPRIT DES LOIS.


et obtint la place du père. Les rois avoient déjà commencé à corrompre leurs propres grâces.

Quoique, par la loi du royaume, les fiefs fussent amovibles, ils ne se donnoient pourtant, ni ne s’étoient d’une manière capricieuse et arbitraire ; et c’étoit ordinairement une des principales choses qui se traitoient dans les assemblées de la nation. On peut bien penser que la corruption se glissa dans ce point, comme elle s’étoit glissée dans l’autre ; et que l’on continua la possession des fiefs pour de l’argent, comme on continuoit la possession des comtés.

Je ferai voir, dans la suite de ce livre [1], qu’indépendamment des dons que les princes firent pour un temps, il y en eut d’autres qu’ils firent pour toujours.il arriva que la cour voulut révoquer les dons qui avoient été faits : cela mit un mécontentement général dans la nation, et l’on en vit bientôt naître cette révolution fameuse dans l’histoire de France, dont la première époque fut le spectacle étonnant du supplice de Brunehault.

Il paroît d’abord extraordinaire que cette reine, fille, sœur, mère de tant de rois, fameuse encore aujourd’hui par des ouvrages dignes d’un édile ou d’un proconsul romain, née avec un génie admirable pour les affaires, douée de qualités qui avoient été si longtemps respectées, se soit vue [2] tout à coup exposée à des supplices si longs, si honteux, si cruels, par un roi [3] dont l’autorité étoit assez mal affermie dans sa nation, si elle n’étoit tombée, par quelque cause particulière, dans la disgrâce de cette nation. Clotaire lui [4] reprocha la mort de dix rois ; mais

  1. Ch. VII. (M.)
  2. Chronique de Frédégaire, ch. XLII. (M.)
  3. Clotaire II, fils de Chilpéric, et père de Dagobert. (M.)
  4. Chronique de Frédégaire, ch. XLII. (M.)