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DE L’ESPRIT DES LOIS.


Mais « la vertu n’est point le principe du gouvernement monarchique ». C’est ce qu’on lit en titre au chapitre V, livre III. « Dans les monarchies, dit-on, la politique fait faire les grandes choses avec le moins de vertu qu’elle peut, comme dans les plus belles machines l’art emploie aussi peu de mouvements, de forces et de roues qu’il est possible. L’État subsiste indépendamment de l’amour pour la patrie, du désir de la vraie gloire, du renoncement à soi-même, du sacrifice de ses plus chers intérêts, et de toutes ces vertus héroïques que nous trouvons dans les anciens, et dont nous avons seulement entendu parler. Les lois y tiennent la place de toutes ces vertus dont on n’a aucun besoin : l’État vous en dispense. Une action qui se fait sans bruit, y est en quelque façon sans conséquence. » L’auteur avertit ici, dans une note, « qu’il ne parle point de cette vertu qui a du rapport aux vérités révélées ». Mais reconnoit-il des vérités révélées ? Parle-t-il en aucun endroit en homme qui croit ? Quand messieurs de la « religion naturelle » ont glissé un mot pour dire qu’ils mettent la religion à part, ils croient pouvoir débiter impunément leurs impiétés ; mais leurs finesses sont aisées à découvrir.

Ce n’est point la vertu qui est le mobile qui fait agir dans un État monarchique. « Mais s’il manque d’un ressort, il en a un autre, dit l’auteur. L’honneur, c’est-à-dire le préjugé de chaque personne et de chaque condition prend la place de la vertu, et la représente partout. » (Livre III, chapitre VI.) « Il est vrai, continue-t-il, que, philosophiquement parlant, c’est un honneur faux qui conduit toutes les parties de l’État ; mais cet honneur faux est aussi utile au public que le vrai le seroit aux particuliers qui pourroient l’avoir. Et n’est-ce pas beaucoup,