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DE L’ESPRIT DES LOIS.

L’auteur ne nous dit point quelle est la religion dont les lois rappellent l’homme à Dieu. Est-ce la religion chrétienne ? Est-ce la religion de Mahomet ? Est-ce la religion des Chinois ? C’est apparemment la « religion naturelle ». Quoi qu’il en soit, remarquons que, selon l’auteur, ce n’est point à la religion à régler les mœurs : c’est aux philosophes. Dieu, par les lois de la religion, rappelle l’homme à ce qu’il lui doit ; mais les philosophes par les lois de la morale, le rappellent à ce qu’il se doit à soi-même, et les législateurs à ce qu’il doit aux autres. Ainsi, selon l’auteur, le gouvernement du monde intelligent est partagé entre Dieu, les philosophes et les législateurs. Mais ces philosophes et ces législateurs sont des hommes, qui pouvoient à tous les instants s’oublier et oublier les autres. Qui les a rappelés à ce qu’ils se doivent à eux-mêmes, et à ce qu’ils doivent aux autres ? Où les philosophes ont-il appris les lois de la morale ? Où les législateurs ont-ils vu ce qu’il faut prescrire pour gouverner les sociétés avec équité ? Dans la religion chrétienne, les enfants savent ce que les sectateurs de la « religion naturelle » n’ont pu trouver après vingt ans de travail, que l’amour de Dieu est la première de toutes les lois, que l’amour du prochain est la seconde, et que de ces deux lois primordiales naissent toutes les autres.

Remarquons encore que l’auteur (qui trouve que Dieu ne peut pas gouverner les êtres libres aussi bien que les autres, parce qu’étant libres il faut qu’ils agissent par eux-mêmes) ne remédie à ce désordre que par des lois qui peuvent bien montrer à l’homme ce qu’il doit faire, mais qui ne lui donnent pas le moyen de le faire. Ainsi, dans le système de l’auteur, Dieu crée des êtres dont il ne peut empêcher le désordre, ni le réparer. Ne soyons plus surpris de