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PRÉFACE DE L’ÉDITEUR.


paroisse, des porte-dieu, des fossoyeurs et des marguilliers. Cet homme cria contre le président de Montesquieu : Religion, Religion, DIEU, DIEU ! et il l’appela déiste et athée, pour mieux vendre sa gazette. Ce qui semble peu croyable, c’est que Montesquieu daigna lui répondre. Les trois doigts qui avoient écrit l’Esprit des Lois, s’abaissèrent jusqu’à écraser, par la force de la raison et à coup d’épigrammes, la guêpe convulsionnaire qui bourdonnoit à ses oreilles quatre fois par mois.

« Il ne fit pas le même honneur aux jésuites ; ils se vengèrent de son indifférence en publiant à sa mort qu’ils l’avoient converti. On ne pouvoit attaquer sa mémoire par une calomnie plus lâche et plus ridicule. Cette turpitude fut bien reconnue lorsque, peu d’années après, les jésuites furent proscrits sur le globe entier qu’ils avaient trompé par tant de controverses et troublé par tant de cabales.

« Ces hurlements des chiens du cimetière Saint-Médard, et ces déclamations de quelques régents de collège, ex-jésuites, ne furent pas entendus au milieu des applaudissements de l’Europe. »

Si j’ai cité ce jugement peu bienveillant pour Montesquieu, et plus qu’acerbe pour les jansénistes et les jésuites, c’est que, tout en renfermant plus d’une inexactitude, il nous apprend que les critiques et la Défense de l’Esprit des Lois furent un événement littéraire en 1749 et 1750. D’Alembert, qui appelle la Défense un chef-d’œuvre, n’est pas moins explicite sur ce point. La parole n’était pas libre en France, surtout en ce qui touchait à la religion. C’était la première fois peut-être qu’un philosophe, dénoncé comme un ennemi de la foi, tenait tête à ses adversaires sans les injurier, et qu’à force de raison et d’esprit, il mettait les rieurs de son côté. Comparée aux pamphlets violents et cyniques de Voltaire, la Défense est de l’atticisme le plus pur.

C’est toujours ainsi qu’on l’a regardée. Mais, en proclamant la victoire de Montesquieu, les éditeurs ne nous ont point fait connaître les pièces du procès. Nous avons la réponse de l’auteur ; nous ne savons pas toujours à quoi il répond. Ne serait-il pas équitable de publier l’attaque en même temps que la défense, et de permettre au lecteur de juger comme on l’a fait au dernier siècle, après avoir entendu les parties ?