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CHAPITRE XIV.


COMMENT LE CHANGE GÈNE LES ÉTATS DESPOTIQUES.


La Moscovie voudroit descendre de son despotisme, et ne le peut. L'établissement du commerce demande celui du change ; et les opérations du change contredisent toutes ses lois.

En 1745, la czarine [1] fit une ordonnance pour chasser les Juifs, parce qu’ils avoient remis dans les pays étrangers l’argent de ceux qui étoient relégués en Sibérie, et celui des étrangers qui étoient au service. Tous les sujets de l’empire, comme des esclaves, n’en peuvent sortir, ni faire sortir leurs biens, sans permission. Le change, qui donne le moyen de transporter l’argent d’un pays à un autre, est donc contradictoire aux lois de Moscovie.

Le commerce même contredit ses lois. Le peuple n’est composé que d’esclaves attachés aux terres, et d’esclaves [2] qu’on appelle ecclésiastiques ou gentilshommes, parce qu’ils sont les seigneurs de ces esclaves. Il ne reste donc guère personne pour le tiers-état, qui doit former les ouvriers et les marchands.

  1. Elisabeth, fille de Pierre le Grand, née en 1710, morte en 1762.
  2. Esclaves politiques, puisque leur personne et leurs biens sont dans la main du czar, leur maître.
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