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DE L’ESPRIT DES LOIS.


État, l'argent y pourra être rare réellement, et commun relativement ; par exemple, si, dans le même temps, cet État avoit à payer beaucoup de marchandises dans le pays étranger, le change baisseroit, quoique l’argent fût rare.

Le change de toutes les places tend toujours à se mettre à une certaine proportion ; et cela est dans la nature de la chose même. Si le change de l’Irlande à l’Angleterre est plus bas que le pair, et que celui de l’Angleterre à la Hollande soit aussi plus bas que le pair, celui de l'Irlande à la Hollande sera encore plus bas : c’est-à-dire, en raison composée de celui d’Irlande à l’Angleterre, et de celui de l’Angleterre à la Hollande ; car un Hollandois, qui peut faire venir ses fonds indirectement d’Irlande par l’Angleterre, ne voudra pas payer plus cher pour les faire venir directement. Je dis que cela devroit être ainsi ; mais cela n’est pourtant pas exactement ainsi ; il y a toujours des circonstances qui font varier ces choses ; et la différence du profit qu’il y a à tirer par une place, ou à tirer par une autre, fait l’art ou l’habileté [1] particulière des banquiers, dont il n’est point question ici.

Lorsqu’un État hausse sa monnoie ; par exemple, lorsqu’il appelle six livres ou deux écus, ce qu’il n’appelloit que trois livres ou un écu, cette dénomination nouvelle, qui n’ajoute rien de réel à l’écu, ne doit pas procurer un seul gros de plus par le change. On ne devroit avoir, pour les deux écus nouveaux, que la même quantité de gros que l’on recevoit pour l’ancien ; et, si cela n’est pas, ce n’est point l’effet de la fixation en elle-même, mais de celui qu’elle produit comme nouvelle, et de celui qu’elle a

  1. A. B. L’art et l’habileté, etc.