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DE L’ESPRIT DES LOIS.

Aussi saint Louis dit-il dans ses Établissements [1], que l’appel contient félonie et iniquité. Aussi Beaumanoir nous dit-il que, si un homme [2] vouloit se plaindre de quelque attentat commis contre lui par son seigneur, il devoit lui dénoncer qu’il abandonnoit son fief ; après quoi il l’appeloit devant son seigneur suzerain, et offroit les gages de bataille. De même, le seigneur renonçoit à l’hommage, s’il appeloit son homme devant le comte.

Appeler son seigneur de faux jugement, c’étoit dire que son jugement avoit été faussement et méchamment rendu ; or, avancer de telles paroles contre son seigneur, c’étoit commettre une espèce de crime de félonie.

Ainsi, au lieu d’appeler pour faux jugement le seigneur qui établissoit et régloit le tribunal, on appeloit les pairs qui formoient le tribunal même ; on évitoit par là le crime de félonie ; on n’insultoit que ses pairs, à qui on pouvoit toujours faire raison de l’insulte.

On s’exposoit [3] beaucoup en faussant le jugement des pairs. Si l'on attendoit que le jugement fût fait et prononcé, on étoit obligé de les combattre [4] tous, lorsqu’ils offroient de faire le jugement bon. Si l’on appeloit avant que tous les juges eussent donné leur avis, il falloit combattre tous ceux qui étoient convenus du même avis [5]. Pour éviter ce danger, on supplioit le seigneur [6] d’ordonner que chaque pair dit tout haut son avis ; et, lorsque le premier avoit prononcé, et que le second alloit en faire

  1. Liv. II, ch. XV. (M.)
  2. Beaum., ch. LXI, p. 310 et 311 ; et ch. LXVII, p. 337. (M.)
  3. Ibid., ch. LXI, p. 313. (M.)
  4. Ibid., p. 314. (M.)
  5. Qui s'étoient accordés au jugement. (M.)
  6. Beaum., ch. LXI, p. 314. (M.)