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DE L’ESPRIT DES LOIS.

Le mariage entre le père et la fille répugne à la nature comme le précédent ; mais il répugne moins, parce qu’il n’a point ces deux obstacles. Aussi les Tartares, qui peuvent épouser leurs filles [1], n’épousent-ils jamais leurs mères, comme nous le voyons dans les Relations [2].

Il a toujours été naturel aux pères de veiller sur la pudeur de leurs enfants. Chargés du soin de les établir, ils ont dû leur conserver et le corps le plus parfait, et l’âme la moins corrompue ; tout ce qui peut mieux inspirer des désirs, et tout ce qui est le plus propre à donner de la tendresse. Des pères toujours occupés à conserver les mœurs de leurs enfants, ont dû avoir un éloignement naturel pour tout ce qui pourroit les corrompre. Le mariage n’est point une corruption, dira-t-on ; mais avant le mariage, il faut parler, il faut se faire aimer, il faut séduire ; c’est cette séduction qui a du faire horreur.

Il a donc fallu une barrière insurmontable entre ceux qui dévoient donner l’éducation et ceux qui dévoient la recevoir, et éviter toute sorte de corruption, même pour cause légitime. Pourquoi les pères privent-ils si soigneusement ceux qui doivent épouser leurs filles, de leur compagnie et de leur familiarité [3] ?

L’horreur pour l’inceste du frère avec la sœur, a dû partir de la même source. Il suffit que les pères et les mères aient voulu conserver les mœurs de leurs enfants et leurs

  1. Cette loi est bien ancienne parmi eux. Attila, dit Priscus dans son Ambassade, s’arrêta dans un certain lieu pour épouser Esca, sa fille : chose permise, dit-il, par les loix des Scythes, p. 22. (M.)
  2. Hist. des Tartares, part. III, p. 256. (M.)
  3. Au XVIIIe siècle, on était beaucoup plus sévère qu’aujourd’hui sur les relations du fiancé et de son épouse future. Aujourd’hui on a plus de confiance dans l’honnêteté des poursuivants, ce qui est à l’honneur des mœurs de notre temps.