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LIVRE XXIV, CHAP. XIII.


naît la paresse de l'âme. On a dit : Cela est dans les décrets de Dieu, il faut donc rester en repos. Dans un cas pareil, on doit exciter par les lois les hommes endormis dans la religion.

Lorsque la religion condamne des choses que les lois civiles doivent permettre, il est dangereux que les lois civiles ne permettent de leur côté ce que la religion doit condamner ; une de ces choses marquant toujours un défaut d’harmonie et de justesse dans les idées, qui se répand sur l’autre.

Ainsi les Tartares [1] de Gengiskan, chez lesquels c’étolt un péché, et même un crime capital, de mettre le couteau dans le feu, de s’appuyer contre un fouet, de battre un cheval avec sa bride, de rompre un os avec un autre, ne croyoient pas qu’il y eût de péché à violer la foi, à ravir le bien d’ autrui, à faire injure à un homme, à le tuer. En un mot, les lois qui font regarder comme nécessaire ce qui est indifférent, ont cet inconvénient, qu’elles font considérer comme indifférent ce qui est nécessaire.

Ceux de Formose [2] croient une espèce d’enfer ; mais c'est pour punir ceux qui ont manqué d’aller nus en certaines saisons, qui ont mis des vêtements de toile et non pas de soie, qui ont été chercher des huîtres, qui ont agi sans consulter le chant des oiseaux ; aussi ne regardent-ils point comme péché l’ivrognerie et le dérèglement avec les femmes ; ils croient [3] même, que les débauches de leurs enfants sont agréables à leurs dieux.

  1. Voyez la relation de Frère Jean Duplan Carpin, envoyé en Tartarie par le pape Innocent IV, en l’année 1246. (M.)
  2. Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome V, part. I, p. 192. (M.)
  3. A. Ils croyoient même, etc.