Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t4.djvu/85

Cette page n’a pas encore été corrigée
69
LIVRE XII, CHAP. IV.


d’avoir conspiré contre l’empereur, et de s’être servi pour cela de certains secrets qui rendent les hommes invisibles. Il est dit, dans la vie de cet empereur [1], que l’on surprit Aaron lisant un livre de Salomon, dont la lecture faisoit paroître des légions de démons. Or, en supposant dans la magie une puissance qui arme l’enfer, et en partant de là, on regarde celui que l’on appelle un magicien, comme l’homme du monde le plus propre à troubler et à renverser la société, et l’on est porté à le punir sans mesure.

L’indignation croit lorsque l’on met dans la magie le pouvoir de détruire la religion. L’histoire de Constantinople [2] nous apprend que, sur une révélation qu’avoit eue un évêque qu’un miracle avoit cessé à cause de la magie d’un particulier, lui et son fils furent condamnés à mort. De combien de choses prodigieuses ce crime ne dépendoit-il pas ? Qu’il ne soit pas rare qu’il y ait des révélations ; que l’évêque en ait eu une ; qu’elle fût véritable ; qu’il y eût eu un miracle ; que ce miracle eût cessé ; qu’il y eût de la magie ; que la magie pût renverser la religion ; que ce particulier fût magicien ; qu’il eût fait enfin cet acte de magie.

L’empereur Théodore Lascaris attribuoit sa maladie à la magie. Ceux qui en étoient accusés n’avoient d’autre ressource que de manier un fer chaud sans se brûler [3]. Il auroit été bon, chez les Grecs, d’être magicien pour se justifier de la magie. Tel étoit l’excès de leur idiotisme, qu’au

  1. Nicétas, Vie de Manuel Comnène, liv. IV. (M.)
  2. Histoire de l’empereur Maurice, par Théophylacte, chap. XI. (M.)
  3. C'était sans doute un emprunt fait aux coutumes apportées par les Barbares dans notre Occident, encore bien qu’on trouve l'épreuve du fer chaud dans les plus anciennes traditions de la Grèce.