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CHAPITRE V.


DE CERTAINES ACCUSATIONS
QUI ONT PARTICULIÈREMENT BESOIN DE MODÉRATION
ET DE PRUDENCE.


Maxime importante : il faut être très-circonspect dans la poursuite de la magie et de l’hérésie [1]. L’accusation de ces deux crimes peut extrêmement choquer la liberté, et être la source d’une infinité de tyrannies, si le législateur ne sait la borner. Car, comme elle ne porte pas directement sur les actions d’un citoyen, mais plutôt sur l’idée que l'on s’est faite de son caractère, elle devient dangereuse à proportion de l’ignorance du peuple ; et pour lors un citoyen est toujours en danger, parce que la meilleure conduite du monde, la morale la plus pure, la pratique de tous les devoirs, ne sont pas des garants contre les soupçons de ces crimes.

Sous Manuel Comnène, le protesiator [2] fut accusé

  1. Il ne sut pas prendre au sérieux cette réserve ironique. Montesquieu, qui se sent tenu à de grands ménagements envers le gouvernement, l'Église et les préjugés de son pays, voile souvent sa pensée, mais pour la découvrir un peu plus loin. V. dans le chapitre suivant ce qu'il dit de la magie et de l'hérésie. On peut supposer qu’en écrivant la première partie de ce chapitre, Montesquieu avait sous les yeux l'opinion d’Addison. (Spectator, n° 117.) « Concluons qu’en général il y a une magie, mais qu’en particulier on n’en saurait citer aucun exemple. »
  2. Nicétas, Vie de Manuel Comnène, liv. IV. (M.)