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LIVRE XII, CHAP. IV.


de tous les avantages que donne la religion : l’expulsion hors des temples ; la privation de la société des fidèles, pour un temps ou pour toujours ; la fuite de leur présence, les exécrations, les détestations, les conjurations [1].

Dans les choses qui troublent la tranquillité ou la sûreté de l'État, les actions cachées sont du ressort de la justice humaine. Mais dans celles qui blessent la Divinité, là où il n’y a point d’action publique, il n’y a point de matière de crime : tout s’y passe entre l’homme et Dieu, qui sait la mesure et le temps de ses vengeances. Que si, confondant les choses, le magistrat recherche aussi le sacrilège caché, il porte une inquisition sur un genre d’action où elle n’est point nécessaire : il détruit la liberté des citoyens, en armant contre eux le zèle des consciences timides, et celui des consciences hardies [2].

Le mal est venu de cette idée, qu’il faut venger la Divinité. Mais il faut faire honorer la Divinité, et ne la venger jamais. En effet, si l'on se conduisoit par cette dernière idée, quelle seroit la fin des supplices ? Si les lois des hommes ont à venger un être infini, elles se régleront sur son infinité, et non pas sur les foiblesses [3], sur les ignorances, sur les caprices de la nature humaine.

Un historien [4] de Provence rapporte un fait, qui nous peint très-bien ce que peut produire sur des esprits foibles cette idée de venger la Divinité. Un Juif, accusé d’avoir blasphémé contre la sainte Vierge, fut condamné

  1. C’est-à-dire les malédictions et les excommunications.
  2. A. B. Que si, confondant les choses, on recherche aussi le sacrilège caché, on porte une inquisition sur un genre d’action où elle n'est point nécessaire, on détruit la liberté des citoyens, etc.
  3. A. N'a point les mots : sur les foiblesses.
  4. Le P. Bougerel. (M.)