Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t4.djvu/73

Cette page n’a pas encore été corrigée
57
LIVRE XI, CHAP. XIX.


fixé la part de l’impôt à proportion de celle que chacun avoit dans le gouvernement. Il arrivoit de là qu’on souffroit la grandeur du tribut à cause de la grandeur du crédit, et que l'on se consoloit de la petitesse du crédit par la petitesse du tribut.

Il y avoit encore une chose admirable ; c’est que la division de Servius Tullius par classes étant, pour ainsi dire, le principe fondamental de la constitution, il arrivoit que l’équité, dans la levée des tributs, tenoit au principe fondamental du gouvernement, et ne pouvoit être ôtée qu’avec lui.

Mais pendant que la ville payoit les tributs sans peine, ou n’en payoit point du tout [1], les provinces étoient désolées par les chevaliers, qui étoient les traitants de la république. Nous avons parlé de leurs vexations, et toute l’histoire en est pleine.

« Toute l’Asie m’attend comme son libérateur, disoit Mithridate [2] ; tant ont excité de haine contre les Romains les rapines des proconsuls [3], les exactions des gens d’affaires [4] et les calomnies des jugements [5]. »

Voilà ce qui fit que la force des provinces n’ajouta rien à la force de la république, et ne fit au contraire que l’affoiblir. Voilà ce qui fit que les provinces regardèrent la perte de la liberté de Rome comme l’époque de l’établissement de la leur.

  1. Après la conquête de la Macédoine, les tributs cessèrent à Rome. (M.)
  2. Harangue tirée de Trogue Pompée, rapportée par Justin, liv XXXVIII, C. IV. (M.)
  3. Voyez les Oraisons contre Verèes. (M.)
  4. A. B. Les exécutions des gens d’affaires. — Sectio publicanorum dans Justin.
  5. On sait que ce fut le tribunal de Varus qui fit révolter les Germains. (M.) Calumniœ litium doit se traduire par chicanes odieuses et non par calomnies des jugements.