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DE L’ESPRIT DES LOIS.


plois civils et militaires [1]. Cela fait qu’une république qui conquiert ne peut guère communiquer son gouvernement, et régir l'État conquis selon la forme de sa constitution. En effet, le magistrat qu elle envoie pour gouverner, ayant la puissance exécutrice, civile et militaire, il faut bien qu'il ait aussi la puissance législative, car qui est-ce qui feroit des lois sans lui ? Il faut aussi qu'il ait la puissance de juger, car qui est-ce qui jugeroit indépendamment de lui ? Il faut donc que le gouverneur qu’elle envoie ait les trois pouvoirs, comme cela fut dans les provinces romaines.

Une monarchie peut plus aisément communiquer son gouvernement, parce que les officiers qu’elle envoie ont, les uns la puissance exécutrice civile, et les autres la puissance exécutrice militaire ; ce qui n’entraîne pas après soi le despotisme.

C’étoit un privilège d’une grande conséquence pour un citoyen romain, de ne pouvoir être jugé que par le peuple. Sans cela, il auroit été soumis dans les provinces au pouvoir arbitraire d’un proconsul ou d’un propréteur. La ville [2] ne sentoit point la tyrannie, qui ne s’exerçoit que sur les nations assujetties.

Ainsi, dans le monde romain, comme à Lacédémone, ceux qui étoient libres étoient extrêmement libres ; et ceux qui étoient esclaves étoient extrêmement esclaves.

Pendant que les citoyens payoient des tributs, ils étoient levés avec une équité très-grande. On suivoit l’établissement de Servius Tullius, qui avoit distribué tous les citoyens en six classes, selon l'ordre de leurs richesses, et

  1. A. B. Nous ayons dit ailleurs que le même magistrat, dans la république, doit avoir la puissance exécutrice, civile et militaire. Cela fait, etc.
  2. Urbs, Rome.