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DE L'ESPRIT DES LOIS.


la puissance législative d’un autre corps de l’État. Ce fut un délire de la liberté. Le peuple, pour établir la démocratie, choqua les principes mêmes de la démocratie. Il sembloit qu’une puissance aussi exorbitante auroit dû anéantir l'autorité du sénat ; mais Rome avoit des institutions admirables. Elle en avoit deux surtout : par l'une, la puissance législative du peuple étoit réglée ; par l’autre, elle étoit bornée.

Les censeurs, et avant eux les consuls [1], formoient et créoient, pour ainsi dire, tous les cinq ans, le corps du peuple ; ils exerçoient la législation sur le corps même qui avoit la puissance législative. « Tibérius Gracchus, censeur, dit Cicéron, transféra les affranchis dans les tribus de la ville, non par la force de son éloquence, mais par une parole et par un geste ; et s’il ne l’eût pas fait, cette république, qu’aujourd’hui nous soutenons à peine, nous ne l’aurions plus [2]

D’un autre côté, le sénat avoit le pouvoir d’ôter, pour ainsi dire, la république des mains du peuple, par la création d’un dictateur, devant lequel le souverain baissoit la tête, et les lois les plus populaires restoient dans le silence. [3]

    confirmée par celle de Publius Philo, dictateur, l'an de Rome 416. Tite-Live, liv. VIII, c. XII. (M.)

  1. L’an 312 de Rome, les consuls faisoient encore le cens, comme il paroît par Denys d’Halicarnasse, liv. XI. (M.)
  2. De Oratore, lib. I, C. IX.
  3. Comme celles qui permettoient d’appeler au peuple des ordonnances de tous les magistrats. (M.)
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