Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t4.djvu/487

Cette page n’a pas encore été corrigée
471
LIVRE XXI, CHAP. XXII.


qu’il faudra nécessairement que le profit des Espagnols diminue bientôt considérablement, et le leur aussi.

J’ai ouï plusieurs fois déplorer l'aveuglement du Conseil de François Ier qui rebuta Christophe Colomb, qui lui proposoit les Indes [1]. En vérité, on fit, peut-être par imprudence, une chose bien sage. L’Espagne a fait comme ce roi insensé qui demanda que tout ce qu’il toucheroit se convertit en or, et qui fut obligé de revenir aux dieux pour les prier de finir sa misère [2].

Les compagnies et les banques que plusieurs nations établirent, achevèrent d’avilir l’or et l’argent dans leur qualité de signe ; car, par de nouvelles fictions, ils multiplièrent tellement les signes des denrées, que l’or et l’argent ne firent plus cet office qu’en partie [3], et en devinrent moins précieux.

Ainsi le crédit public leur tint lieu de mines, et diminua encore le profit que les Espagnols tiroient des leurs.

Il est vrai que, par le commerce que les Hollandois firent dans les Indes orientales, ils donnèrent quelque prix à la marchandise des Espagnols ; car, comme ils portèrent de l’argent pour troquer contre les marchandises de l’Orient, ils soulagèrent en Europe les Espagnols d’une partie de leurs denrées qui y abondoient trop.

Et ce commerce, qui ne semble regarder qu’indirectement l’Espagne, lui est avantageux comme aux nations mêmes qui le font.

Par tout ce qui vient d’être dit, on peut juger des

  1. Lorsque Christophe Colomb fit ses propositions aux rois d’Espagne, en 1492, François Ier n'était pas né. Il ne fut roi qu’on 1515 ; Colomb était mort en 1506.
  2. A. B. Et qui fut obligé de demander aux dieux de finir sa misère.
  3. A. Ne firent plus cet office ; et en devinrent, etc.