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DE L’ESPRIT DES LOIS.


Charles-Quint, fut obligé de faire la célèbre banqueroute que tout le monde sait [1] ; et il n’y a guère jamais eu de prince qui ait plus souffert que lui des murmures, de l’insolence et de la révolte de ses troupes toujours mal payées.

Depuis ce temps, la monarchie d’Espagne déclina sans cesse. C’est qu’il y avoit un vice intérieur et physique dans la nature de ces richesses, qui les rendoit vaines ; et ce vice augmenta tous les jours.

L’or et l’argent sont une richesse de fiction ou de signe [2]. Ces signes sont très-durables et se détruisent peu, comme il convient à leur nature. Plus ils se multiplient, plus ils perdent de leur prix, parce qu’ils représentent moins de choses [3].

Lors de la conquête du Mexique et du Pérou, les Espagnols abandonnèrent les richesses naturelles pour avoir des richesses de signe qui s’avilissoient par elles-mêmes. L’or et l’argent étoient très-rares en Europe ; et l’Espagne, maîtresse tout à coup d’une très-grande quantité de ces métaux, conçut des espérances qu’elle n’avoit jamais eues. Les richesses que l’on trouva dans les pays conquis

  1. Peut-être M. de Montesquieu aurait-il pu trouver la principale cause de cet épuisement intérieur, dans les dépenses énormes que Philippe II faisoit dans toute l’Europe, dépenses en pure perte dont rien ne rentrait en Espagne. (PECQUET, Analyse raisonnée, etc. p. 211.) Le père Daniel (Hist. de France, t. X, p. 237) dit que parmi les papiers de Philippe II, on trouva un mémoire do ce que lui avaient coûté les guerres et ses autres entreprises, durant environ quarante-cinq ans. Cette dépense montait à quatre milliards cinq cent quatorze millions d'or, c’était plus de cent millions par an, somme énorme pour le temps et qui explique la ruine de r£spagne.
  2. C’est une erreur. Inf. XXII, C. II.
  3. C’est la condition commune de toute valeur échangeable. Le prix en est réglé par l'offre et la demande. Inf. XXII, C. V, note 1.