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LIVRE XXI, CHAP. XXI.


inconvénient pour leur sûreté ; car, si la métropole est éloignée pour les défendre, les nations rivales de la métropole ne sont pas moins éloignées pour les conquérir.

De plus, cet éloignement fait que ceux qui vont s’y établir ne peuvent prendre la manière de vivre d’un climat si différent ; ils sont obligés de tirer toutes les commodités de la vie du pays d’où ils sont venus. Les Carthaginois [1], pour rendre les Sardes et les Corses plus dépendants, leur avoient défendu, sous peine de la vie, de planter, de semer et de faire rien de semblable ; ils leur envoyoient d’Afrique des vivres. Nous sommes parvenus au même point, sans faire des lois si dures. Nos colonies des lies Antilles sont admirables ; elles ont des objets de commerce que nous n’avons ni ne pouvons avoir ; elles manquent de ce qui fait l’objet du nôtre.

L’effet de la découverte de l’Amérique fut de lier à l’Europe l'Asie et l’Afrique. L’Amérique fournit à l’Europe la matière de son commerce avec cette vaste partie de l’Asie qu’on appela les Indes orientales. L’argent, ce métal si utile au commerce, comme signe, fut encore la base du plus grand commerce de l’univers, comme marchandise [2]. Enfin la navigation d’Afrique devint nécessaire ; elle fournissoit des hommes pour le travail des mines et des terres de l’Amérique.

L’Europe est parvenue à un si haut degré de puissance, que l’histoire n’a rien à comparer là-dessus, si l’on considère l’immensité des dépenses, la grandeur des engage-

  1. Aristote, des choses merveiUeuses, Tite-Live, liv. VII de la seconde décade. (M.)
  2. Si l'argent a une valeur comme marchandise, comment Montesquieu n'a-t-il pas vu que la monnaie n'était pas un signe de valeur, mais une mesure universelle, un équivalent dont le prix n'a rien d’arbitraire ? Inf. XXII, chap. II.