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DE L’ESPRIT DES LOIS.


métropoles n’entraîne point une permission pour les colonies, qui restent toujours en état de prohibition.

Le désavantage des colonies, qui perdent la liberté du commerce, est visiblement compensé par la protection de la métropole [1] qui la défend par ses armes, ou la maintient par ses lois.

De là suit une troisième loi de l’Europe, que, quand le commerce étranger est défendu avec la colonie, on ne peut naviguer dans ses mers que dans les cas établis par les traités [2].

Les nations, qui sont à l’égard de tout l’univers ce que les particuliers sont dans un État, se gouvernent comme eux par le droit naturel et par les lois qu’elles se sont faites. Un peuple peut céder à un autre la mer, comme il peut céder la terre [3]. Les Carthaginois exigèrent [4] des Romains qu’ils ne navigueraient pas au delà de certaines limites, comm€ les Grecs avoient exigé du roi de Perse qu’il se tiendroit toujours éloigné des côtes de la mer [5] de la carrière d’un cheval.

L’extrême éloignement de nos colonies n’est point un

  1. Métropole est, dans le langage des anciens, l'État qui a fondé la colonie. (M.)
  2. Montesquieu expose dans ce chapitre les principes du système colonial, qui au XVIIe et au XXVIIIe siècle a mis les grandes puissances de l'Europe aux prises, et a causé des guerres et des misères sans nombre. Ce système a amené la séparation de l’Angleterre et des colonies de l’Amérique du Nord, devenues les États-Unis.
  3. En fait, cela se peut. Mais en droit est-il vrai qu'un peuple puisse s’attribuer le domaine de la mer ? N'est-ce pas une res nullius juris, un grand chemin ouvert à toutes les nations, et qui ne peut être la propriété de personne ?
  4. Polybe, liv. III. (M.)
  5. Le roi de Perse s’obligea, par un traité, de ne naviguer avec aucun vaisseau de guerre au delà dos roches Scyanées et des îles Chélidoniennes. Plutarque, Vie de Cimon. (M.)