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LIVRE XXI, CHAP. XX.


embrassoient le christianisme. Dans ces temps-là, on regardoit les hommes comme des terres. Et je remarquerai, en passant, combien on s’est joué de cette nation d’un siècle à l’autre. On confisquoit leurs biens lorsqu’ils vouloient être chrétiens, et, bientôt après, on les fit brûler lorsqu’ils ne voulurent pas l’être.

Cependant on vit le commerce sortir du sein de la vexation et du désespoir. Les Juifs, proscrits tour à tour de chaque pays, trouvèrent le moyen de sauver leurs effets [1]. Par là ils rendirent pour jamais leurs retraites fixes ; car tel prince qui voudroit bien se défaire d’eux, ne seroitpas pour cela d’humeur à se défaire de leur argent.

Ils [2] inventèrent les lettres de change ; et, par ce moyen, le commerce put éluder la violence, et se maintenir partout ; le négociant le plus riche n’ayant que des biens invisibles, qui pouvoient être envoyés partout, et ne laissoient de trace nulle part.

Les théologiens furent obligés de restreindre leurs principes ; et le commerce, qu’on avoit violemment lié avec la mauvaise foi, rentra, pour ainsi dire, dans le sein de la probité.

Ainsi nous devons aux spéculations des scolastiques tous les malheurs [3] qui ont accompagné la destruction du

  1. C’est-à-dire leurs richesses, leurs valeurs mobilières. C'est le sens du mot effet dans la langue de Montesquieu. V. sup., XX, XXIII.
  2. On sait que, sous Phiilippe-Auguste et sous Philippe le Long, les Juifs, chassés de France, se réfugièrent en Lombardie, et que là ils donnèrent aux négociants étrangers, et aux voyageurs, des lettres secrètes sur ceux à qui ils avoient confié leurs effets en France, qui furent acquittées. (M.)
  3. Voyez, dans le Corps du Droit, la quatre-vingt-troisième novelle de Léon, qui révoque la loi de Basile son père. Cette loi de Basile est dans