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DE L’ESPRIT DES LOIS.


malheureux qu’il sera privé des effets des autres pays, et même encore de presque tous les siens : les propriétaires des fonds de terre n’y seront que les colons des étrangers. Cet État manquera de tout, et ne pourra rien acquérir ; il vaudroit bien mieux qu’il n’eût de commerce avec aucune nation du monde : c’est le commerce, qui, dans les circonstances où il se trouvoit, l’a conduit à la pauvreté.

Un pays qui envoie toujours moins de marchandises ou de denrées qu’il n’en reçoit, se met lui-même en équilibre en s’appauvrissant : il recevra toujours moins, jusqu’à ce que, dans une pauvreté extrême, il ne reçoive plus rien.

Dans les pays de commerce, l’argent qui s’est tout à coup évanoui, revient, parce que les États qui l’ont reçu, le doivent : dans les États dont nous parlons, l’argent ne revient jamais, parce que ceux qui l’ont pris, ne doivent rien.

La Pologne servira ici d’exemple. Elle n’a presque aucune des choses que nous appelons les effets mobiliers de l’univers, si ce n’est le bled de ses terres. Quelques seigneurs possèdent des provinces entières ; ils pressent le laboureur pour avoir une plus grande quantité de bled qu’ils puissent envoyer aux étrangers, et se procurer les choses que demande leur luxe. Si la Pologne ne commerçoit avec aucune nation, ses peuples seroient plus heureux. Ses grands, qui n’auroient que leur bled, le donneroient à leurs paysans pour vivre ; de trop grands domaines leur seroient à charge, ils les partageroient à leurs paysans ; tout le monde trouvant des peaux ou des laines dans ses troupeaux, il n’y auroit plus une dépense immense à faire pour les habits ; les grands, qui aiment toujours le luxe, et qui ne le pourroient trouver que dans