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CHAPITRE XII.


DE LA LIBERTÉ DU COMMERCE.


La liberté du commerce n’est pas une faculté accordée aux négociants de faire ce qu’ils veulent ; ce seroit bien plutôt sa servitude. Ce qui gêne le commerçant, ne gêne pas pour cela le commerce [1]. C’est dans les pays de la liberté que le négociant trouve des contradictions sans nombre [2] ; et il n’est jamais moins croisé par les lois que dans les pays de la servitude [3].

L’Angleterre défend de faire sortir ses laines ; elle veut que le charbon soit transporté par mer dans la capitale ; elle ne permet point la sortie de ses chevaux, s’ils ne sont coupés ; les vaisseaux [4] de ses colonies qui commercent en Europe, doivent mouiller en Angleterre [5]. Elle gêne le négociant, mais c’est en faveur du commerce.

  1. Autant vaudrait dire que ce qui nuit à l'abeille profite à la ruche.
  2. Cela était vrai du temps de Montesquieu ; mais ce système n'en était pas moins mauvais. Montesquieu a vu le commerce anglais et hollandais réussir malgré des entraves sans nombre ; il a cru que le commerce réussissoit à cause de ces entraves. C'est une erreur. Franklin, le premier, a fait justice de ces sophismes qui ont duré jusqu’à nos jours.
  3. Dans un pays sans industrie, comme la Turquie, il ne pouvait y avoir aucune raison de gêner le commerce. C'est l'esprit de monopole industriel (et la navigation est une industrie), qui dans les États d’Europe avait fait établir les prohibitions et les taxes à l’importation.
  4. Acte de navigation de 1660. Ce n'a été qu’en temps de guerre que ceux de Boston et de Philadelphie ont envoyé leurs vaisseaux en droiture jusque dans la Méditerranée porter leurs denrées. (M.)
  5. Cette dernière loi était en vigueur en France.