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CHAPITRE II.


DE L'ESPRIT DU COMMERCE.


L'effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l'une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels.

Mais, si l’esprit de commerce unit les nations, il n'unit pas de même les particuliers. Nous voyons que dans les pays [1] où l'on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent [2].

L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage, et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, et qu’on peut les négliger pour ceux des autres.

La privation totale du commerce produit au contraire le brigandage, qu’Aristote met au nombre des manières d’acquérir. L’esprit n’en est point opposé à de certaines

  1. La Hollande. (M.)
  2. Si M. Montesquieu avoit pratiqué les Hollandois, il auroit beaucoup rabattu sur ce passage. (LUZAC.)