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CHAPITRE PREMIER.


DU COMMERCE.


Les matières qui suivent demanderoient d’être traitées avec plus d'étendue ; mais la nature de cet ouvrage ne le permet pas. Je voudrois couler sur une rivière tranquille ; je suis entraîné par un torrent.

Le commerce guérit des préjugés destructeurs ; et c’est presque une règle générale, que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce ; et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces.

Qu’on ne s’étonne donc point si nos mœurs sont moins féroces qu’elles ne l’étoient autrefois. Le commerce a fait que la connoissance des mœurs de toutes les nations a pénétré partout : on les a comparées entre elles, et il en a résulté de grands biens.

On peut dire que les lois du commerce perfectionnent les mœurs, par la même raison que ces mêmes lois perdent les mœurs. Le commerce corrompt les mœurs pures [1]: c’étoit le sujet des plaintes de Platon [2] : il polit et adoucit les mœurs barbares, comme nous le voyons tous les jours.

  1. César dit des Gaulois, que le voisinage et le commerce de Marseille les avoit gâtés de façon qu’eux, qui autrefois avoient toujours vaincu les Germains, leur étoient devenus inférieurs. Guerre des Gaules, liv. VI, c. XXI II. (M.)
  2. Les mœurs pures de Platon sont celles d’un couvent, où règne la communauté des biens, sinon même celle des femmes. C’est une utopie. En fait, on ne voit pas que les peuples commerçants aient de plus mauaises mœurs que les peuples qui ne font rien.