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DE L’ESPRIT DES LOIS.


je suis accablé de tristesse et d’ennui [1]. Mettez dans mon esprit ce charme et cette douceur que je sentois autrefois et qui fuit loin de moi. Vous n’êtes jamais si divines que quand vous menez à la sagesse et à la vérité par le plaisir.

Mais, si vous ne voulez point adoucir la rigueur de mes travaux, cachez le travail même ; faites qu’on soit instruit, et que je n’enseigne pas ; que je réfléchisse, et que je paroisse sentir ; et lorsque j’annoncerai des choses nouvelles, faites qu’on croie que je ne savois rien, et que vous m’avez tout dit.

Quand les eaux de votre fontaine sortent du rocher que vous aimez, elles ne montent point dans les airs pour retomber ; elles coulent dans la prairie ; elles font vos délices, parce qu’elles font les délices des bergers.

Muses charmantes, si vous portez sur moi un seul de vos regards, tout le monde lira mon ouvrage ; et ce qui ne sauroit être un amusement sera un plaisir.

Divines Muses, je sens que vous m’inspirez, non pas ce qu’on chante à Tempe sur les chalumeaux, ou ce qu’on répète à Délos sur la lyre ; vous voulez que je parle à la raison ; elle est le plus parfait, le plus noble et le plus exquis de nos sens.

    vous qui vouliez qu'on l’ôtàt. Je me range à votre avis, et bien fermement, et vous prie de ne la pas mettre a. »

    On nous pardonnera d'ètre restés fidèles au premier sentiment de Montesquieu. On ne comprendra jamais le génie de ce grand homme si l'on veut séparer l'auteur de l'Esprit des lois de l'auteur des Lettres persanes et du Temple de Gnide.

  1. Narrate puellœ
    Piérides ; prosit mihi vos dixisse puellas.

    (JUVÉNAL, Satire IV, vers 35-36.) (M.)

    a Ces pièces curieuses nous ont été conservées dans le Mémoire historique sur la vie et les ouvrages de Jacob Vernet. Genève, 1790.