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LIVRE XIX, CHAP. XXVII.


que pour un autre, chacun se regarderoit comme monarque ; et les hommes, dans cette nation, seroient plutôt des confédérés que des concitoyens.

Si le climat avoit donné à bien des gens un esprit inquiet et des vues étendues, dans un pays où la constitution donneroit à tout le monde une part au gouvernement et des intérêts politiques, on parleroit beaucoup de politique ; on verroit des gens qui passeroient leur vie à calculer des événements qui, vu la nature des choses et le caprice de la fortune, c’est-à-dire, des hommes, ne sont guère soumis au calcul.

Dans une nation libre, il est très-souvent indifférent que les particuliers raisonnent bien ou mal ; il suffit qu’ils raisonnent : de là sort la liberté qui garantit des effets de ces mêmes raisonnements.

De même, dans un gouvernement despotique, il est également pernicieux qu’on raisonne bien ou mal ; il suffit qu’on raisonne pour que le principe du gouvernement soit choqué.

Bien des gens qui ne se soucieroîent de plaire à personne, s’abandonneroient à leur humeur. La plupart, avec de l’esprit, seroient tourmentés par leur esprit même : dans le dédain ou le dégoût de toutes choses, ils seroient malheureux avec tant de sujets de ne l’être pas.

Aucun citoyen ne craignant aucun citoyen, cette nation seroit fière ; car la fierté des rois n’est fondée que sur leur indépendance.

Les nations libres sont superbes, les autres peuvent plus aisément être vaines [1].

  1. Grosley trouve une contradiction entre cette maxime et le chap. IX du liv. XIX ; Montesquieu lui répond : « Quant à cette contradiction, ellle ne vient que de ce que les êtres moraux ont des effets différents selon