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DE L’ESPRIT DES LOIS.

Il y auroit un luxe solide, fondé, non pas sur le rafllnement de la vanité, mais sur celui des besoins réels ; et l’on ne chercheroit guère dans les choses que les plaisirs que la nature y a mis.

On y jouiroit d’un grand superflu, et cependant les choses frivoles y seroient proscrites ; ainsi plusieurs ayant plus de bien que d’occasions de dépense [1], l’emploieroient d’une manière bizarre ; et dans cette nation, il y auroit plus d’esprit que de goût.

Comme on seroit toujours occupé de ses intérêts, on n’auroit point cette politesse qui est fondée sur l’oisiveté ; et réellement on n’en auroit pas le temps [2].

L’époque de la politesse des Romains est la même que celle de l’établissement du pouvoir arbitraire. Le gouvernement absolu produit l’oisiveté ; et l’oisiveté fait naître la politesse.

Plus il y a de gens dans une nation qui ont besoin d’avoir des ménagements entre eux et de ne pas déplaire, plus il y a de politesse. Mais c’est plus la politesse des mœurs que celle des manières qui doit nous distinguer des peuples barbares.

Dans une nation où tout homme, à sa manière, prendroit part à l’administration de l’État, les femmes ne devroient guère vivre avec les hommes. Elles seroient donc modestes, c’est-à-dire timides : cette timidité feroit leur vertu ; tandis que les hommes, sans galanterie, se jetleroient dans une débauche qui leur laisseroit toute leur liberté et leur loisir.

Les lois n’y étant pas faites pour un particulier plus

  1. A. De dépenser.
  2. « Les Anglois vous font peu de politesses ; mais jamais d’impolitesses. » Montesquieu, Notes sur l’Angleterre.