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LIVRE XIX, CHAP. XXVII.


tions ne pourroient être secrètes, et ils seroient forcés d’être, à cet égard, un peu plus honnêtes gens.

De plus, comme ils seroient en quelque façon garants des événements qu’une conduite détournée pourroit faire naître, le plus sûr pour eux seroit de prendre le plus droit chemin.

Si les nobles avoient eu dans de certains temps un pouvoir immodéré dans la nation, et que le monarque eût trouvé le moyen de les abaisser en élevant le peuple, le point de l’extrême servitude auroit été entre le moment de l’abaissement des grands, et celui où le peuple auroit commencé à sentir son pouvoir.

Il pourroit être que cette nation ayant été autrefois soumise à un pouvoir arbitraire [1], en auroit, en plusieurs occasions, conservé le style ; de manière que, sur le fond d’un gouvernement libre, on verroit souvent la forme d’un gouvernement absolu.

A regard de la religion, comme dans cet État chaque citoyen auroit sa volonté propre, et seroit par conséquent conduit par ses propres lumières, ou ses fantaisies, il arriveroit, ou que chacun auroit beaucoup d’indifférence pour toutes sortes de religions de quelque espèce qu’elles fussent [2], moyennant quoi tout le monde seroit porté à

  1. Sous les Tudors.
  2. Montesquieu reproche aux Anglais d'avoir peu de religion. « Ce que c’est que d’être modéré dans ses principes, dit-il dans ses Pensées diverses. Je passe en France pour avoir peu de religion, en Angleterre pour en avoir trop. » Il s'est arrêté à la surface. Risteau dit avec plus de raison : « Je crois pouvoir avancer, sans crainte d'ètre démenti, que pour un livre hardi qui paroît en Angleterre contre la religion, il s’en élève trente pour la défendre ; c’est le pays du monde où les théologiens se sont le plus exercés contre l'incrédulité. » Il ne faut pas oublier d’ailleurs que Montesquieu écrivait avant que l'apostolat de Wesley eût amené la renaissance religieuse de l'Angleterre. Il est prouvé aujourd’hui, par de nombreux exemples, que la pleine liberté religieuse favorise moins l'incrédulité que