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DE L’ESPRIT DES LOIS.


que sa prospérité ne seroit que précaire, et seulement en dépôt pour un maître.

La nation dominante habitant une grande île, et étant en possession d'un grand commerce, auroit toutes sortes de facilités pour avoir des forces de mer ; et comme la conservalion de sa liberté demanderoit qu’elle n’eût ni places, ni forteresses, ni armées de terre, elle auroit besoin d’une armée de mer qui la garantit des invasions ; et sa marine seroit supérieure à celle de toutes les autres puissances, qui, ayant besoin d’employer leurs finances pour la guerre de terre, n’en auroient plus assez pour la guerre de mer.

L’empire de la mer a toujours donné aux peuples qui l’ont possédé, une fierté naturelle ; parce que, se sentant capables d’insulter partout, ils croient que leur pouvoir n’a pas plus de bornes que l’Océan.

Cette nation pourroit avoir une grande influence dans les affaires de ses voisins. Car, comme elle n’emploieroit pas sa puissance à conquérir, on rechercheroit plus son amitié, et l’on craindroit plus sa haine que l’inconstance de son gouvernement et son agitation intérieure ne sembleroit le permettre.

Ainsi, ce seroit le destin de la puissance exécutrice, d’être presque toujours inquiétée au dedans, et respectée au dehors.

S’il arrivoit que cette nation devînt en quelques occasions le centre des négociations de l’Europe, elle y porteroit un peu plus de probité et de bonne foi que les autres ; parce que ses ministres étant souvent obligés de justifier leur conduite devant un conseil populaire [1], leurs négocia-

  1. Le Parlement.