Une nation commerçante a un nombre prodigieux de petits intérêts particuliers ; elle peut donc choquer et être choquée d’une infinité de manières. Celle-ci deviendroit souverainement jalouse ; et elle s’aflligeroit plus de la prospérité des autres, qu’elle ne jouiroit de la sienne.
Et ses lois, d’ailleurs douces et faciles, pourroient être si rigides à l’égard du commerce et de la navigation qu’on feroit chez elle, qu’elle sembleroit ne négocier qu’avec des ennemis [1].
Si cette nation envoyoit au loin des colonies, elle le feroit plus pour étendre son commerce que sa domination.
Comme on aime à établir ailleurs ce qu’on trouve établi chez soi, elle donneroit au peuple de ses colonies la forme de son gouvernement propre : et ce gouvernement portant avec lui la prospérité, on verroit se former de grands peuples dans les forêls mêmes qu’elle enverroit habiter [2].
Il pourroit être qu’elle auroit autrefois subjugué une nation voisine [3] qui, par sa situation, la bonté de ses ports, la nature de ses richesses, lui donneroit de la jalousie : ainsi, quoiqu’elle lui eût donné ses propres lois, elle la tiendroit dans une grande dépendance ; de façon que les citoyens y seroient libres, et que l’État lui-même seroit esclave.
L’État conquis auroit un très-bon gouvernement civil, mais il seroit accablé par le droit des gens ; et on lui imposeroit des lois de nation à nation, qui seroient telles