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LIVRE XIX, CHAP. XXVII.


que cette liberté seroit vraie ; et il pourroit arriver que, pour la défendre, elle sacrifieroit son bien, son aisance, ses intérêts ; qu’elle se chargeroit des impôts les plus durs, et tels que le prince le plus absolu [1] n'oseroît les faire supporter à ses sujets.

Mais, comme elle auroit une connoissance certaine de la nécessité de s’y soumettre, qu’elle paîeroit dans l’espérance bien fondée de ne payer plus ; les charges y seroient plus pesantes que le sentiment de ces charges ; au lieu qu’il y a des États [2] où le sentiment est infiniment au-dessus du mal.

Elle auroit un crédit sûr, parce qu’elle emprunteroit à elle-même, et se paieroît elle-même [3]. Il pourroit arriver qu’elle en trepren droit au-dessus de ses forces naturelles, et feroit valoir contre ses ennemis d’immenses richesses de fiction [4], que la confiance et la nature de son gouvernement rendroient réelles.

Pour conserver sa liberté, elle emprunteroit de ses sujets ; et ses sujets, qui verroient que son crédit seroit perdu si elle étoit conquise, auroient un nouveau motif de faire des efforts pour défendre sa liberté.

Si cette nation habitoit une île, elle ne seroit point conquérante [5], parce que des conquêtes séparées l’affoibliroient. Si le terrain de celte île étoit bon, elle le seroit encore moins, parce qu’elle n’auroit pas besoin de la guerre pour s’enrichir. Et, comme aucun citoyen ne dépendroit

  1. A. B. Et tels qu'un prince despotique n’oseroit, etc.
  2. Allusion à la France du XVIIIe siècle.
  3. Sup., XIII, XIII.
  4. C'est par ces mots : richesses de fiction, que l'auteur désigne les emprunta et la dette publique.
  5. En Europe.