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LIVRE XIX, CHAP. XXVII.


que l'on ne connoît guère, et qu’on peut nous déguiser ; et la crainte grossit toujours les objets. Le peuple seroit inquiet sur sa situation, et croiroit être en danger dans les moments même les plus sûrs [1].

D’autant mieux que ceux qui s’opposeroient le plus vivement à la puissance exécutrice, ne pouvant avouer les motifs intéressés de leur opposition, ils augmentcroient les terreurs du peuple, qui ne sauroit jamais au juste s’il seroit en danger ou non. Mais cela même contribueroit à lui faire éviter les vrais périls où il pourroit, dans la suite, être exposé.

Mais le corps législatif ayant la confiance du peuple, et étant plus éclairé que lui, il pourroit le faire revenir des mauvaises impressions qu’on lui auroit données, et calmer ses mouvements.

C’est le grand avantage qu’auroit ce gouvernement sur les démocraties anciennes, dans lesquelles le peuple avoit une puissance immédiate ; car, lorsque les orateurs l’agitoient, ces agitations avoient toujours leur eflet.

Ainsi, quand les terreurs imprimées n’auroient point d’objet certain, elles ne produiroient que de vaines clameurs et des injures : et elles auroient même ce bon effet, qu’elles tendroient tous les ressorts du gouvernement, et rendroient tous les citoyens attentifs [2]. Mais si elles naissoient à l’occasion du renversement des lois fondamentales, elles seroient sourdes, funestes, atroces, et produiroient des catastrophes.

  1. . . . . . . . . . . . . . L’Anglais indompté
    Qui ne peut ni servir, ni vivre en liberté.

    (Voltaire, Henriade, chant I.)

  2. On trouvera les mêmes raisons développées chez Hume, Essais moraux et politiques 11e essai. De la liberté de la presse. Il ne faut pas oublier que Hume écrivait en 1742.