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DE L’ESPRIT DES LOIS.


grand nombre n’ayant pas ordinairement assez d’équilé ni de sens pour les affectionner également toutes les deux.

Et, comme la puissance exécutrice, disposant de tous les emplois, pourroit donner de grandes espérances et jamais de craintes, tous ceux qui obtiendroient d’elle seroient portés à se tourner de son côté, et elle pourroit être attaquée par tous ceux qui n’en espéreroient rien.

Toutes les passions y étant libres, la haine, l’envie, la jalousie, l’ardeur de s’enrichir et de se distinguer, paroîtroient dans toute leur étendue ; et si celaétoit autrement, l'État seroit comme un homme abattu par la maladie, qui n’a point de passions parce qu’il n’a point de forces.

La haine qui seroit entre les deux partis dureroit, parce qu’elle seroit toujours impuissante.

Ces partis étant composés d’hommes libres, si l’un prenoit trop le dessus, l’effet de la liberté feroit que celui-ci seroit abaissé, tandis que les citoyens, comme les mains qui secourent le corps, viendroient relever l’autre.

Comme chaque particulier, toujours indépendant, suivroit beaucoup ses caprices et ses fantaisies, on changeroit souvent de parti ; on en abandonneroit un où l’on laisseroit tous ses amis pour se lier à un autre dans lequel on trouveroit tous ses ennemis ; et souvent, dans cette nation, on pourroit oublier les lois de l’amitié et celles de la haine.

Le monarque serait dans le cas des particuliers ; et, contre les maximes ordinaires de la prudence, il seroit souvent obligé de donner sa confiance à ceux qui l'auroient le plus choqué, et de disgracier ceux qui l’auroient le mieux servi, faisant par nécessité ce que les autres princes font par choix.

On craint de voir échapper un bien que l'on sent,