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CHAPITRE XX.


EXPLICATION D'UN PARADOXE SUR LES CHINOIS.


Ce qu’il y a de singulier, c’est que les Chinois, dont la vie est entièrement dirigée par les rites, sont néanmoins le peuple le plus fourbe de la terre. Cela paroît surtout dans le commerce, qui n’a jamais pu leur inspirer la bonne foi qui lui est naturelle. Celui qui achète doit porter [1] sa propre balance ; chaque marchand en ayant trois, une forte pour acheter, une légère pour vendre, et une juste pour ceux qui sont sur leurs gardes. Je crois pouvoir expliquer cette contradiction.

Les législateurs de la Chine ont eu deux objets : ils ont voulu que le peuple fut soumis et tranquille, et qu’il fût laborieux et industrieux. Par la nature du climat et du terrain, il a une vie précaire ; on n’y est assuré de sa vie qu’à force d’industrie et de travail.

Quand tout le monde obéit et que tout le monde travaille, l’État est dans une heureuse situation. C’est la nécessité, et peut-être la nature du climat, qui ont donné à tous les Chinois une avidité inconcevable pour le gain ; et les lois n’ont pas songé à l’arrêter. Tout a été défendu, quand il a été question d’acquérir par violence ; tout a été

  1. Journal de Lange en 1721 et 1722 ; tome VIII des Voyages du Nord, p. 303. (M.)