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DE L’ESPRIT DES LOIS.

La facilité et la promptitude avec laquelle cette nation s’est policée, a bien montré que ce prince avoit trop mauvaise opinion d’elle, et que ces peuples n’étoient pas des bêtes, comme il le disoit. Les moyens violents qu’il employa étoient inutiles ; il seroit arrivé tout de même à son but par la douceur.

Il éprouva lui-même la facilité de ces changements. Les femmes étoient renfermées, et en quelque façon esclaves ; il les appela à la cour, il les fit habiller à l’allemande, il leur envoyoit des étoffes. Ce sexe goûta d’abord une façon de vivre qui flattoit si fort son goût, sa vanité et ses passions, et la fit goûter aux hommes.

Ce qui rendit le changement plus aisé, c’est que les mœurs d’alors étoient étrangères au climat, et y avoient été apportées par le mélange des nations et par les conquêtes. Pierre Ier donnant les mœurs et les manières de l’Europe à une nation d’Europe, trouva des facilités qu’il n’attendoit pas lui-même. L’empire du climat est le premier de tous les empires [1].

Il n’avoit donc pas besoin de lois pour changer les mœurs et les manières de sa nation : il lui eût suffi d’inspirer d’autres mœurs et d’autres manières.

En général, les peuples sont très-attachés à leurs coutumes ; les leur ôter violemment, c’est les rendre malheureux : il ne faut donc pas les changer, mais les engager à les changer eux-mêmes [2].

  1. Ceci n’est-il pas trop absolu ? Est-il bien sûr que la religion soit moins puissante que le climat pour réformer les mœurs et les manières ? Le climat agit directement sur le corps, indirectement sur l'esprit ; la religion change l'homme intérieur et triomphe du climat. Les Juifs, par exemple, ne sont-ils pas juifs en tout pays ?
  2. C'est-à-dire : il ne faut donc pas changer violemment les mœurs par les lois, mais engager les peuples à changer eux-mêmes leurs mœurs.