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CHAPITRE XIV.


QUELS SONT LES MOYENS NATURELS DE CHANGER
LES MŒURS ET LES MANIÈRES D'UNE NATION.


Nous avons dit que les lois étoient des institutions particulières et précises du législateur ; et les mœurs et les manières, des institutions de la nation en général. De là il suit que lorsqu’on veut changer les mœurs et les manières, il ne faut pas les changer par les lois : cela paroîtroit trop tyrannique : il vaut mieux les changer par d’autres mœurs et d’autres manières.

Ainsi, lorsqu’un prince veut faire de grands changements dans sa nation, il faut qu’il réforme par les lois ce qui est établi par les lois, et qu’il change par les manières ce qui est établi par les manières : et c’est une très-mauvaise politique de changer par les lois ce qui doit être changé par les manières.

La loi qui obligeoit les Moscovites à se faire couper la barbe [1] et les habits, et la violence de Pierre Ier, qui faisoit tailler jusqu’aux genoux les longues robes de ceux qui entroient dans les villes, étoient tyranniques. Il y a des moyens pour empêcher les crimes : ce sont les peines ; il y en a pour faire changer les manières : ce sont les exemples.

  1. Les prêtres leur faisaient un cas de conscience de ne pas se laisser couper la barbe. (RISTEAU.)