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CHAPITRE III.


QUELS SONT LES PAYS LES PLUS CULTIVÉS.


Les pays ne sont pas cultivés en raison de leur fertilité, mais en raison de leur liberté ; et si l’on divise la terre par la pensée, on sera étonné de voir la plupart du temps des déserts dans ses parties les plus fertiles, et de grands peuples dans celles où le terrain semble refuser tout [1].

Il est naturel qu’un peuple quitte un mauvais pays pour en chercher un meilleur, et non pas qu’il quitte un bon pays pour en chercher un pire. La plupart des invasions se font donc dans les pays que la nature avoit faits pour être heureux ; et, comme rien n’est plus près de la dévastation que l’invasion, les meilleurs pays sont le plus souvent dépeuplés, tandis que l’affreux pays du Nord reste toujours habité, par la raison qu’il est presque inhabitable.

On voit, par ce que les historiens nous disent du passage des peuples de la Scandinavie sur les bords du Danube, que ce n’étoit point une conquête, mais seulement une transmigration dans des terres désertes.

Ces climats heureux avoient donc été dépeuplés par

  1. Cette double sûreté : l'opinion qu’on possédera paisiblement son patrimoine, et qu'on est à l'abri des attaques de l'étrangcr, voilà ce qu'il faut pour peupler les pays même les plus ingrats ; voilà ce qui a fait de la Hollande un chef-d’œuvre de l'industrie humaine. (LUZAC.)