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LIVRE XVII, CHAP. V.


ennemis de la Chine ; mais cela n’empêche pas qu’ils n’aient porté dans la Tartarie l’esprit du gouvernement chinois.

Souvent une partie de la nation tartare qui a conquis, est chassée elle-même ; et elle rapporte dans ses déserts un esprit de servitude qu’elle a acquis dans le climat de l’esclavage. L’histoire de la Chine nous en fournit de grands exemples, et notre histoire ancienne aussi [1].

C’est ce qui a fait que le génie de la nation tartare ou gétique a toujours été semblable à celui des empires de l’Asie. Les peuples, dans ceux-ci, sont gouvernés par le bâton ; les peuples tartares, par les longs fouets. L’esprit de l’Europe a toujours été contraire à ces mœurs : et, dans tous les temps, ce que les peuples d’Asie ont appelé punition, les peuples d’Europe l’ont appelé outrage [2].

Les Tartares détruisant l’empire grec établirent dans les pays conquis la servitude et le despotisme ; les Goths [3] conquérant l’empire romain, fondèrent partout la monarchie et la liberté.

Je ne sais si le fameux Rudbeck [4] , qui, dans son Atlantique, a tant loué la Scandinavie, a parlé de cette grande prérogative qui doit mettre les nations qui l’habitent, au-dessus de tous les peuples du monde ; c’est qu’elles

  1. Les Scythes conquirent trois fois l'Asie, et en furent trois fois chassés. Justin, liv. II, c. III. (M.)
  2. Ceci n’est point contraire à ce que je dirai au liv. XXIII, chap. xx, sur la manière de penser des peuples germains sur le breton. Quelque instrument que ce fût, ils regardèrent toujours comme un affront le pouvoir ou l'action arbitraire de battre. (M.) Cette note a paru pour la première fois dans B.
  3. Montesquieu appelle ainsi les Germains.
  4. Rudbeck (1030-1702), naturaliste suédois, aumônier de Gustave-Adolphe, a essayé de prouver dans son Atlantica (4 vol. in-f°), que l'Atlantide de Platon était la Scandinavie.