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LIVRE XI, CHAP. VI.


tout délateur peut, à tous les moments, jeter avec un billet son accusation [1].

Voyez quelle peut être la situation d’un citoyen dans ces républiques. Le même corps de magistrature a, comme exécuteur des lois, toute la puissance qu’il s’est donnée comme législateur. Il peut ravager l’État par ses volontés générales, et, comme il a encore la puissance de juger, il peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulières.

Toute la puissance y est une ; et, quoiqu’il n’y ait point de pompe extérieure qui découvre un prince despotique, on le sent à chaque instant.

Aussi les princes qui ont voulu se rendre despotiques ont-ils toujours commencé par réunir en leur personne toutes les magistratures ; et plusieurs rois d’Europe, toutes les grandes charges de leur État.

Je crois bien que la pure aristocratie héréditaire des républiques d’Italie ne répond pas précisément au despotisme de l’Asie. La multitude des magistrats adoucit quelquefois la magistrature ; tous les nobles ne concourent pas toujours aux mêmes desseins ; on y forme divers tribunaux qui se tempèrent. Ainsi, à Venise, le grand conseil [2] a la législation ; le prégadi, l'exécution ; les quaranties, le pouvoir de juger [3]. Mais le mal est que ces tribunaux

  1. Sup. II, III ; V, IV.
  2. 2. A : le conseil.
  3. Le grand conseil était composé de corps des nobles, au nombre de 12 à 1,500 : c’était le souverain ; les prégadi étaient les sénateurs au nombre de 120, pris dans le grand conseil ; les quaranties, composées chacune de 40 membres, étaient au nombre de trois : la quarantia criminale qui jugeait les plus grosses affaires criminelles ; ses membres avaient voix délibérative dans le sénat ; la quarantia civil vecchia, et la quaratuia civil nova, qui jugeaient au criminel, et en appel au civil.