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CHAPITRE XIX.


DES AFFRANCHIS ET DES EUNUQUES.


Ainsi, dans le gouvernement de plusieurs, il est souvent utile que la condition des affranchis soit peu au-dessous de celle des ingénus, et que les lois travaillent à leur ôter le dégoût de leur condition. Mais, dans le gouvernement d’un seul, lorsque le luxe et le pouvoir arbitraire régnent, on n’a rien à faire à cet égard. Les affranchis se trouvent presque toujours au-dessus des hommes libres : ils dominent à la cour du prince et dans les palais des grands : et comme ils ont étudié les foiblesses de leur maître, et non pas ses vertus, ils le font régner, non pas par ses vertus, mais par ses foiblesses. Tels étoient à Rome les affranchis du temps des empereurs.

Lorsque les principaux esclaves sont eunuques, quelque privilège qu’on leur accorde, on ne peut guère les regarder comme des affranchis. Car, comme ils ne peuvent avoir de famille, ils sont, par leur nature, attachés à une famille ; et ce n’est que par une espèce de fiction qu’on peut les considérer comme citoyens.

Cependant il y a des pays où on leur donne toutes les magistratures : « Au Tonquin [1], dit Dampier [2], tous les

  1. C’étoit autrefois de même à la Chine. Les deux Arabes mahométans qui y voyagèrent au IXe siècle, disent l'Eunuque, quand ils veulent parler du gouverneur d’une ville. (M.) — La relation de ces deux voyageurs a été publiée en français par l’abbé Renaudot. Paris, 1718, in-8°.
  2. Tome III, p. 91. (M.)