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DE L'ESPRIT DES LOIS.

II ne faut pas faire tout à coup, et par une loi générale, un nombre considérable d’affranchissements. On sait que, chez les Volsiniens [1], les affranchis, devenus mattres des suffrages, firent une abominable loi qui leur donnoit le droit de coucher les premiers avec les filles qui se marioient à des ingénus.

Il y a diverses manières d’introduire insensiblement de nouveaux citoyens dans la république. Les lois peuvent favoriser le pécule, et mettre les esclaves en état d’acheter leur libeité. Elles peuvent donner un terme à la servitude, comme celles de Moïse, qui avoient borné à six ans celle des esclaves hébreux [2]. Il est aisé d’affranchir toutes les années un certain nombre d’esclaves parmi ceux qui, par leur âge, leur santé, leur industrie, auront le moyen de vivre. On peut même guérir le mal dans sa racine : comme le grand nombre d’esclaves est lié aux divers emplois qu’on leur donne, transporter aux ingénus une partie de ces emplois, par exemple le commerce ou la navigation, c’est diminuer le nombre des esclaves.

Lorsqu’il y a beaucoup d’affranchis, il faut que les lois civiles fixent ce qu’ils doivent à leur patron, ou que le contrat d’affranchissement fixe ces devoirs pour elles.

On sent que leur condition doit être plus favorisée dans l’État civil que dans l’État politique, parce que, dans le gouvernement même populaire, la puissance ne doit point tomber entre les mains du bas peuple [3].

A Rome, où il y avoit tant d’affranchis, les lois politiques furent admirables à leur égard. On leur donna peu, et on ne les exclut presque de rien. Ils eurent bien quelque

  1. Supplément de Freinshemius, décade II, liv. V. (M. )
  2. Exode, chap. XXI. (M.)
  3. Sup., XI, VI.