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CHAPITRE XIII.


DANGER DU GRAND NOMBRE D'ESCLAVES.


Le grand nombre d’esclaves a des effets différents dans les divers gouvernements. Il n'est point à charge dans le gouvernement despotique ; l’esclavage politique, établi dans le corps de l’État, fait que l'on sent peu l’esclavage civil. Ceux que l’on appelle hommes libres ne le sont guère plus que ceux qui n’y ont pas ce titre ; et ceux-ci, en qualité d’eunuques, d’affranchis ou d’esclaves, ayant en main presque toutes les affaires, la condition d’un homme libre et celle d’un esclave se touchent de fort près. Il est donc presque indifférent que peu ou beaucoup de gens y vivent dans l’esclavage.

Mais, dans les États modérés, il est très-important qu’il n’y ait point trop d’esclaves. La liberté politique y rend précieuse la liberté civile ; et celui qui est privé de cette dernière est encore privé de l’autre. Il voit une société heureuse dont il n’est pas même partie ; il trouve la sûreté établie pour les autres, et non pas pour lui ; il sent que son maître a une âme qui peut s’agrandir, et que la sienne est contrainte de s’abaisser sans cesse. Rien ne met plus près de la condition des bêtes que de voir toujours des hommes libres, et de ne l’être pas. De telles gens sont des ennemis naturels de la société ; et leur nombre seroit dangereux.