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GRANDEUR ET DÉCADENCE


licite, c’est que la loi qui le punit a été faite en sa faveur. Un meurtrier, par exemple, a joui de la loi qui le condamne ; elle lui a conservé la vie à tous les instants, il ne peut donc pas réclamer contre elle [1]. Il n’en est pas de même de l’esclave : la loi de l’esclavage n’a jamais pu lui être utile ; elle est dans tous les cas contre lui, sans jamais être pour lui : ce qui est contraire au principe fondamental de toutes les sociétés.

On dira qu’elle a pu lui être utile, parce que le maître lui a donné la nourriture. Il faudroit donc réduire l’esclavage aux personnes incapables de gagner leur vie. Mais on ne veut pas de ces esclaves-là. Quant aux enfants, la nature qui a donné du lait aux mères a pourvu à leur nourriture ; et le reste de leur enfance est si près de l’âge où est en eux la plus grande capacité de se rendre utiles, qu’on ne pourroit pas dire que celui qui les nourriroit, pour être leur maître, donnât rien.

L’esclavage est d’ailleurs aussi opposé au droit civil qu’au droit naturel. Quelle loi civile pourroit empêcher un esclave de fuir, lui qui n’est point dans la société, et que par conséquent aucunes lois civiles ne concernent ? Il ne peut être retenu que par une loi de famille, c’est-à-dire par la loi du maître [2].

  1. Sup., XII, II.
  2. Montesquieu proteste ici contre la théorie antique défendue jusqu’à lui par Grotius, De jure belli et pacis, liv. V, Bossuet, Avert, aux protestants, et Locke, Gouv. civ., ch. VI, § 9.
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