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CHAPITRE XII.


DES LOIS CONTRE CEUX QUI SE TUENT [1]EUX-MÊMES.


Nous ne voyons point dans les histoires que les Romains se fissent mourir sans sujet ; mais les Anglois se tuent sans qu’on puisse imaginer aucune raison qui les y détermine, ils se tuent dans le sein même du bonheur [2]. Cette action, chez les Romains, étoit l’effet de l’éducation ; elle tenoit à leur manière de penser et à leurs coutumes : chez les Anglois, elle est l’effet d’une maladie [3] ; elle tient à l’état physique de la machine, et est indépendante de toute autre cause.

Il y a apparence que c’est un défaut de filtration du suc nerveux ; la machine, dont les forces motrices se trouvent à tout moment sans action, est lasse d’elle même ; l’âme ne sent point de douleur, mais une certaine difficulté de l’existence. La douleur est un mal local qui

  1. L'action de ceux qui se tuent eux-mêmes est contraire à la loi naturelle et à la religion révélée. (M.) Cette note n'est pas dans les premières éditions. En sa qualité de stoïcien, Montesquieu a toujours été plus qu’indulgent pour le suicide. V. Lettres persanes, LXXVI et LXXVII ; Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, ch. XIII.
  2. « Il n'y a pas de nation qui ait plus besoin de religion que les Anglois. Ceux qui n’ont pas peur de se pendre doivent avoir la peur d’être damnés. » Montesquieu, Pensées diverses.
  3. Elle pourroit bien être compliquée avec le scorbut qui, surtout dans quelques pays, rend un homme bizarre et insupportable à lui-même Voyage de François Pyrard, part. II, chap. XXI. (M.)